EMPIRES PERSES ET TAPIS

1- L'EMPIRE DES ACHEMENIDES (-558,-330)

   La grande période de l'Empire perse est celle de la dynastie des Achéménides (558-330 av. J.-C). : à cette époque le Grand Roi —comme on nommait le souverain de ce vaste empire— commandait à tout le Moyen-Orient, de la vallée de l’Indus au Bosphore et jusqu'en Egypte et en Cyrénaïque.
  
CYRUS LE GRAND ET LA DYNASTIE DES ACHÉMÉNIDES
   II semble que, dès avant le règne de Cyrus le Grand, les tribus nomades de Perse aient connu et pratiqué l'art de nouer les tapis, mais il ne s'agissait pas à l'époque d'un véritable artisanat et leur fonction restait essentiellement utilitaire.
   A l'époque de la prise de Sardes (546 av. J.-C.) et de celle de Babylone (539 av. J.-C.), la civilisation des Achéménides n'en était encore qu'à ses débuts; Cyrus fut ébloui par la splendeur de Babylone au point d'interdire la mise à sac de la ville, et ce fut probablement lui qui introduisit l'art du tapis en Perse.
   Cyrus mourut en 528 av. J.-C. et, selon la tradition, il aurait été enterré à Pasargades, dans une tombe recouverte de précieux tapis.
Alexandre le Grand mit fin à la domination achéménide .
   La Perse échut alors à Séleucos et à la dynastie des Séleucides (301-v. 170 av. J.-C.); Séleucos était un lieutenant d'Alexandre).

2- DES ACHÉMÉNIDES AUX SASSANIDES (-330- 632)

Alexandre le Grand mit fin à la domination achéménide .

 La Perse échut alors à Séleucos et à la dynastie des Séleucides (301-v. 170 av. J.-C.); Séleucos était un lieutenant d'Alexandre).
Puis l'Empire perse se désagrégea sous les attaques des Parthes, qui nomadisaient entre la Caspienne et la mer d'Aral, et qui sont à l'origine de la dynastie des Arsacides, maîtresse de la Perse jusqu'aux environs de l’an 200 de l'ère chrétienne.
 À cette époque eut lieu une réaction nationale conduite par Ardashïr (v. 226-241), petit-fils d'un prêtre de Persépolis, nommé Sâsàn, qui pré­tendait descendre des Achéménides: ainsi vint au pouvoir la dynastie des Sassanides (225-632 de l'ère chrétienne).
L'Empire sassanide, dont la capitale était Ctésiphon, s'est évidemment heurté à Rome, puis à Byzance.
Les motifs de riva­lité étaient nombreux : les Perses cherchaient non seulement à atteindre la côte méditerranéenne (contrôlée par Byzance), con­formément à la vieille politique des Achéménides, mais aussi à s'opposer à l'expansion du christianisme (d'autant que les chré­tiens nestoriens, persécutés par Byzance, étaient largement pré­sents en Perse).
Une succession de guerres aboutit à un relatif accord de coexistence entre les deux empires ; mais, en 502, la guerre reprend contre l'Empire byzantin en pleine désagrégation.
   Après une trentaine d'années de combats, de trêves, de succès et de revers, les Perses se heurtent finalement à Justinien (empereur en 527) qui, au prix de larges concessions territoriales, signe avec le Grand Roi un traité de paix en 532 .
   En 531 monte sur le trône de Perse le roi Khosrô Ier, dit le Juste (531-579), qui, inquiet des ambitions de Justinien et profitant du fait qu'il est occupé en Occident, ouvre à nouveau les hostilités en 540. La succession de ses victoires est impressionnante. Finalement une paix de « cinquante ans » fut conclue entre les deux empereurs, en 562, aux dépens de Byzance... et la guerre reprit dix ans plus tard, puis sous le règne d'Héraclius (610-641), qui finit par réta­blir la suprématie des armes byzantines.
   Ce conflit permanent affaiblit considérablement les deux adversaires, et le vainqueur (Byzance) était aussi mal en point que le vaincu. De sorte que lorsque, quelques années plus tard, les armées du calife Omar partiront à l'assaut des deux États, inaugurant la grande conquête musulmane, elles trouveront en face d'elles des ennemis désorganisés, incapables matériellement de leur résister et dépourvus de cet élan spirituel qui animait les musulmans.

Le tapis et la dynastie des SASSANIDES (224-632 ap. J.-C.)

Le tapis réapparut à nouveau sous la dynastie des Sassanides (224-641 ap. J.-C.). Des textes chinois contemporains parlent, en effet, de sa production en Perse. On sait aussi qu'en 628 l'empereur Héraclius en rapporta plusieurs exemplaires du pillage de Ctésiphon, la capitale des Sassanides.
 Les Arabes, qui s'emparèrent à leur tour de Ctésiphon en 636, en ramenèrent un très grand nombre dans leur butin, dont le célèbre « Bahar i Khosrô » (le printemps de Chosroès).

 Le tapis de KHOSRO Ier (641 ap. J.-C.)
 Ce tapis légendaire, le plus précieux de tous les temps, avait été confectionné sous le règne de Khosrô (Chosroès) Ier (531-578), souverain sassanide connu sous le nom de Nuseirvân (l'immortel).
 Le « Bahar i Khosrô » avait la forme d'un carré de 25 mètres de côté. Etant donné ses dimensions exceptionnelles, on peut supposer qu'il fut tissé dans le palais même de Ctésiphon qu'il devait orner.
 Son dessin représentait un jardin au prin­temps et les chroniqueurs arabes l'ont décrit en ces termes : « la bordure était un magnifique parterre de fleurs figurées par des pierres précieuses, bleues, rouges, blanches, jaunes et vertes; dans le champ, la couleur de la terre était imitée avec de l'or; des pierres pures comme le cristal donnaient l'illusion de l'eau; les plantes étaient tissées de soie, et les fruits étaient formés de pierres de couleurs ».
   Malheureusement, les Arabes découpèrent le « Bahar i Khosrô » en plusieurs morceaux qui furent ensuite vendus séparément. Il est difficile de savoir aujour­d'hui s'il s'agissait d'un véritable tapis noué à la main, ou tout simplement d'une tapisserie brodée. Mais il est intéressant de constater que le « Bahar i Khosrô », bien que fabriqué dans une cour persane, appartient géographiquement aux tapis mésopotamiens car Ctésiphon s'élevait près de Bagdad, sur les rives du Tigre.
 

3-  LE CALIFAT DE BAGDAD (661- 861)

   Après le renversement de la dynastie sassanide, la Perse subit pendant longtemps la domination, ou tout au moins l'influence, des califats arabes.
   Divers chroniqueurs arabes qui visitèrent la Perse au temps des califes de Bagdad (661-861) ont évoqué dans leurs écrits la fabrication des tapis dans les manufac­tures perses. Ces témoignages ne sont pas suffisamment précis pour permettre de déterminer les types de tapis noués en Perse à cette époque, mais comme il n'existait pas alors de puissante dynastie autochtone on peut supposer que ces manufactures ne confectionnaient guère de spécimens de grand prix car, jusqu'au XIXe siècle, ceux-ci furent exclusivement fabriqués dans les ateliers royaux.
   Il est intéressant de noter qu'à cette époque, la région de Qâân, dans le Khorassan, était déjà un centre de production réputé : détail qui vient à l'appui de la thèse selon laquelle la région de Qâân serait l'un des centres les plus anciens de l'arti­sanat du tapis.
   C'est en particulier dans cette région que serait apparu le motif le plus répandu des tapis persans : le motif hérati.

4- LA PERSE SOUS LES DYNASTIES SELDJOUKIDES (1037-1194)
 A la fin du califat de Bagdad, en 861, les différentes régions de la Perse furent gouvernées par plusieurs dynasties musulmanes.
 En 1037, la Perse passa ensuite au pouvoir des Seldjoukides, tnbu turque ainsi appelée du nom du premier chef de la dynastie, Saldjûq. Les Seldjoukides furent un peuple profondément sensible à toutes les formes d'art. Rappelons pour mémoire que deux célèbres poètes vécurent à cette époque : Firdûsi (auteur du livre des rois) et Omar Khayyâm
 Le règne des Seldjoukides fut d'une grande importance pour l'histoire du tapis persan. Les femmes se montrèrent particulièrement habiles à tisser les tapis en utilisant le nœud turc, et de nos jours encore c'est toujours le même nœud qui est utilisé dans les provinces d'Azerbaïdjan et d'Hamadan, où la pénétration seldjoukide se prolongea plus que dans les autres régions.
     En dépit de l'absence de témoignages sûrs, il est très probable que des pièces de grand prix furent alors fabriquées dans les provinces d'Hamadan et de l'Azerbaïdjan, particulièrement au début du XIIe siècle.

5 - LA DOMINATION DES MONGOLS (1220-1449)
De la domination des Seldjoukides, la Perse passa peu à peu, à la fin du XIIe siècle, au pouvoir des Khans de Khiva qui régnaient sur le Kharez, état de l'Asie cen­trale situé le long du cours inférieur de l'Amou-Daria.
Cette période fut très brève car, dès 1219, la Perse fut dévastée par les hordes de Gengis Khan.
 Les Mongols, peuple sauvage, ignoraient certainement tout des arts de la Perse et, durant cette période, seules les tribus nomades durent continuer le travail du tapis. Cependant, les Mongols subirent peu à peu l'influence du pays qu'ils avaient conquis. A Tabriz, dans le palais de l'Ilkhân Ghazan Khan (1295-1304), premier souverain mongol à s'être converti à l'Islam, le sol était recouvert de tapis. D'autres témoignages en confirment l'existence sous la domination des Mongols, et par­ticulièrement dans le Khorassan, sous le règne des successeurs de Timur Lang, celui-ci plus connu sous le nom de Tamerlan.

Parmi ces successeurs se distingua Chah Rokh (1409-1446) qui releva le pays ravagé par les Mongols et encouragea l'activité dans tous les domaines. On sait, de façon certaine, qu'en ce temps-là les tapis étaient décorés de motifs très simples, sans doute géométriques.

6 - LES SOUVERAINS SÉFÉVIDES (1449-1722)
La seconde moitié du XVe siècle vit les Mongols perdre progressivement le contrôle de la Perse.
La horde turque du Mouton blanc imposa alors sa domination dans les provinces occidentales et son chef, Uzun-Hasan, s'établit à Tabriz dans un palais au sol couvert de tapis. A la même époque, les derniers souverains mongols ornaient de la même façon leurs palais de Hérat.
Vint alors un moment capital dans l'histoire de la Perse, puisque, après sept siècles de domination étrangère, une dynastie nationale allait prendre le pouvoir.
En 1499 en effet, Chah Isma'Il chassa du pays la tribu du Mouton blanc et fonda la dynastie des Séfévides.
En quelques années, grâce aux expéditions menées à partir de Tabriz, sa capitale, Chah Isma'Il s'empara de presque toute la Perse qui fut désormais gouvernée à nouveau par une dynastie nationale. Cette libération du territoire de tout élément étranger suscita l'essor général du pays et les arts y refleurirent encore une fois.
Chah Isma'Il encouragea cette renaissance des arts à partir du développement du pays, et il s'attira ainsi les sympathies du peuple. Des miniaturistes fameux comme Behzad et les continuateurs de l'école séfévide, ou comme Sultan Mohammed el Mirek, vécurent à la cour, entourés de tous les honneurs réservés aux grands dignitaires.
Des centres d'artisanat du tapis furent créés dans la ville; les plus habiles artisans y affluaient, venus de tous les villages, et, sous la direction de maîtres miniatu­ristes, ils confectionnaient ces exemplaires qui ont fait la célébrité de l'artisanat persan.
L'arrivée au pouvoir des souverains séfévides revêt donc une grande importance dans l'histoire du tapis persan dont les premiers témoignages concrets remontent précisément à cette période. Il existe encore, en effet, près de 1 500 spécimens de cette époque, dispersés entre divers musées et des collections privées.

En 1524, le fils de Chah Isma'Il, Chah Tahmasp, alors âgé d'une douzaine d'années, monta à son tour sur le trône. Tahmasp fut un amateur d'art convaincu. Dans son palais royal de Tabriz, et plus tard dans celui de Qazvîn, il recevait peintres et miniatu­ristes. Il ne semble pas, cependant, que Chah Tahmasp ait créé de manufacture de cour pour la confection des tapis, préférant laisser cet art se développer simul­tanément dans plusieurs centres, naturellement placés sous la direction d'artistes et d'artisans de sa cour. L'absence d'une manufacture royale n'eut pas de consé­quences fâcheuses et il semble, au contraire, que les plus belles pièces de la période séfévide aient été fabriquées durant son long règne.
 
Les plus beaux tapis de cette époque proviennent, les uns de Kachan, les autres d'Hamadan. Selon un ambassadeur hongrois à la cour de Tahmasp, c'est dans cette dernière ville que furent nouées certaines des splendides pièces que le Chah envoya en cadeau au sultan Soliman II le Magnifique.
Parmi les exemplaires fabriqués sous le règne de Chah Tahmasp, qui nous sont parvenus, citons le tapis retrouvé dans la mosquée d'Ardébil, ainsi que le tapis de chasse conservé au musée Poldi Pezzoli .
Chah Tahmasp régna jusqu'en 1576.
Après une période agitée qui se prolongea pendant une dizaine d'années, le Chah Abbas le Grand (1587-1629) s'empara du pouvoir. Sous son règne, la Perse traversa une période de paix et d'unité nationale qui favorisa la prospérité du commerce et de l'artisanat.
Abbas Ier noua des rapports avec les grands états européens, et ce fut grâce aux échanges commerciaux et aux cadeaux envoyés par le Chah aux souverains et aux ambassadeurs de ces pays que le tapis persan pénétra en Europe et y acquit en quelques années une grande notoriété.
En 1590, Chah Abbas transféra sa capitale à Ispahan; là, autour d'une immense place qui avait servi jusqu'alors de terrain de jeu de polo, il fit construire un palais magnifique et deux splendides mosquées. Chah Abbas créa en outre à Ispahan une manufacture royale où des dessinateurs et artisans d'une extraordinaire habileté confectionnèrent des pièces somptueuses, presque toujours nouées sur des fils de soie quand ils n'étaient pas d'or et d'argent.
Chah Abbas mourut en 1629.
Sous le règne de ses successeurs, Chah Safi (1629-1642), Chah Abbas II, Chah Suleiman et le sultan Hussein, la Perse s'épuisa en guerres successives

contre les Turcs et l'art connut de ce fait un déclin progressif.
En 1722, les Afghans envahirent la Perse, occupant et détruisant Ispahan; ce fut la fin de la dynastie des Séfévides et de la période royale du tapis persan.

7- DES AFGHANS A LA DYNASTIE PAHLEVI (1722-1979)

La domination afghane ne dura qu'une dizaine d'années et prit fin avec la victoire d'un hardi chef de bande originaire du Khorassan, Nadir, qui fut proclamé chah de Perse en 1736.
Le règne de Nadir Chah se prolongea dix ans, et pendant ces années toutes les forces du pays furent mobilisées dans des campagnes victorieuses contre les Turcs, les Russes et les Afghans.
A la mort de Nadir Chah (1747), le pays traversa encore une fois une période agitée jusqu'à ce qu'un prince d'une tribu Zend, Kanm Khan Zand, s'emparât du pouvoir; s'étant proclamé Régent du royaume de Perse, il s'installa à Chiraz, Sous son règne (1750-1779), la Perse connut quelques années de tranquillité, insuffisantes cependant pour lui permettre de se remettre des ravages causés par les Afghans et les guerres successives. Les tapis noués au cours de cette période sont assez ordinaires et la tradition de cet artisanat ne survécut que grâce aux nomades et aux artisans des petits villages.


 
La mort de Karim Khan fut suivie d'une période de désordre jusqu'en 1786 où Agha Mohammed, montant sur le trône, fonda la dynastie des Qâdjârs qui allait se maintenir au pouvoir jusqu'en 1925; il transféra la capitale à Téhéran. Sous le règne de ses successeurs, Fath Ali Chah et Nâsir-al-Dîn Chah, le commerce et l'artisanat prospérèrent à nouveau.
L'artisanat du tapis refleurit durant les vingt-cinq dernières années du XIXe siècle, grâce aux marchands de Tabriz qui se mirent à les exporter en Europe, en passant par Istanbul. A la fin du XIXe siècle, des firmes européennes et américaines s'ins­tallèrent en Perse pour y organiser une production artisanale destinée aux mar­chés occidentaux.

 

 

En 1925, le général Rîza Khan renversa la dynastie des Qâdjârs et fonda celle des Pahlevi, en prenant le nom de Rîza Chah Pahlevi Ier. Ce souverain encouragea considérablement l'art du tapis, favorisant la création des manufactures impé­riales où sont encore fabriquées des pièces dignes de la grande tradition persane.